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Depuis 2019 et lâannonce dâune rĂ©forme de la Constitution qui a permis au prĂ©sident Alpha CondĂ© de se prĂ©senter Ă un troisiĂšme mandat, nos organisations nâont cessĂ© de dĂ©noncer la dĂ©gradation des droits humains en GuinĂ©e. Face Ă cette situation, lâabsence de rĂ©action forte de la communautĂ© internationale, notamment de la France et de lâUnion europĂ©enne (UE), a Ă©tĂ© reçue par Conakry comme une carte blanche donnĂ©e Ă la rĂ©pĂ©tition des violations. Lâappel lancĂ© fin janvier par le ministre français des affaires Ă©trangĂšres, Jean-Yves Le Drian, à  « faire toute la lumiĂšre » sur la situation des opposants en prison, est Ă©galement restĂ© lettre morte.
Avant et pendant la tenue du rĂ©fĂ©rendum constitutionnel et des Ă©lections lĂ©gislatives du 22 mars 2020, une rĂ©pression brutale sâest abattue sur le pays. Des manifestations ont Ă©tĂ© interdites de maniĂšre abusive. Les forces de sĂ©curitĂ© ont tirĂ© Ă balles rĂ©elles sur les protestataires, faisant des dizaines de morts et de blessĂ©s. Des militants politiques, notamment du Front national pour la dĂ©fense de la Constitution (FNDC), et des membres de la sociĂ©tĂ© civile ont Ă©tĂ© arbitrairement arrĂȘtĂ©s.
Des discours de haine profĂ©rĂ©s par des candidats politiques et des affrontements entre partisans du gouvernement et de lâopposition ont Ă©galement rallumĂ© des tensions ethniques, engendrant des violences intercommunautaires dans la ville de NzĂ©rĂ©korĂ©. La grande majoritĂ© des plaintes dĂ©posĂ©es par les proches des personnes blessĂ©es ou tuĂ©es lors des manifestations nâont pas abouti Ă des poursuites judiciaires. Beaucoup de familles nâont dâailleurs pas osĂ© le faire, par crainte de reprĂ©sailles, manque de moyens ou absence de confiance dans les autoritĂ©s.
DES PRISONS SURPEUPLĂES
Le scrutin prĂ©sidentiel contestĂ© du 18 octobre 2020 sâest Ă©galement dĂ©roulĂ© dans un contexte de graves violations des droits humains. Nos organisations ont recensĂ© au moins seize personnes tuĂ©es par balle entre le 18 et le 24 octobre, sans compter les nombreux blessĂ©s. Les connexions Internet et les liaisons tĂ©lĂ©phoniques ont Ă©tĂ© perturbĂ©es ou coupĂ©es. Si certains manifestants se sont livrĂ©s Ă des violences, comme allĂ©guĂ© par le gouvernement dans un rapport sur les Ă©vĂ©nements, cela ne peut pas justifier la rĂ©pression sanglante du mouvement.
Nos organisations ont recueilli des tĂ©moignages de victimes et de leurs familles et documentĂ© leurs rĂ©cits, afin dâinterpeller les autoritĂ©s guinĂ©ennes, alerter les partenaires de la GuinĂ©e, sensibiliser les opinions publiques. Mais cela nâa pas mis fin aux abus. AprĂšs lâĂ©lection, les autoritĂ©s ont traquĂ© les opposants et des membres de la sociĂ©tĂ© civile. Plusieurs centaines de personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es. Aujourdâhui, des figures de lâopposition et des militants associatifs â y compris des membres de certaines de nos organisations â sont dĂ©tenus dans des conditions de dĂ©tention inhumaines. Dans les prisons surpeuplĂ©es, lâaccĂšs aux soins est pratiquement impossible.
RĂ©cemment, au moins quatre sympathisants ou militants de lâopposition sont morts en dĂ©tention â ou juste aprĂšs avoir Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s â des suites de leurs conditions dâemprisonnement ou par manque de soins. Ainsi Roger Bamba, attachĂ© parlementaire et membre du conseil national des jeunes de lâUnion des forces dĂ©mocratiques de GuinĂ©e (UFDG, opposition), a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 6 septembre 2020. EnvoyĂ© en prison quatre jours plus tard, il est mort le 16 dĂ©cembre 2020 « des suites de maladie », selon le ministĂšre de la justice. Sa famille nâa jamais Ă©tĂ© informĂ©e quâil Ă©tait malade. Un autre dĂ©tenu, ĂągĂ© de 62 ans, est mort en dĂ©tention aprĂšs avoir prĂ©sumĂ©ment subi des actes de torture ou de mauvais traitement.
LE CYCLE DE LâIMPUNITĂ
Les graves violations des droits humains documentĂ©es par nos organisations depuis 2019 demeurent impunies. Si des annonces dâouverture dâenquĂȘte ont Ă©tĂ© faites, elles nâont pas Ă©tĂ© suivies de poursuites contre les auteurs des exactions. Ceci nâest pas nouveau en GuinĂ©e. Plus de onze ans aprĂšs le massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry, il nây a toujours pas eu de procĂšs pour les meurtres de plus de 150 manifestants, les viols et autres crimes perpĂ©trĂ©s alors par les forces de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ©. Depuis la clĂŽture de lâinstruction judiciaire, en 2017, les autoritĂ©s guinĂ©ennes ont Ă plusieurs reprises promis que ce procĂšs aurait lieu.
Face Ă ce bilan de plus en plus sombre, les dĂ©clarations dâintention ne suffisent plus. Il est essentiel que la France appelle Ă la libĂ©ration immĂ©diate des opposants et des militants dĂ©tenus arbitrairement, demande des comptes sur les enquĂȘtes engagĂ©es pour faire la lumiĂšre sur les violences commises contre les manifestants et les opposants, et pĂšse de tout son poids pour quâune justice indĂ©pendante et efficace soit rendue. Elle doit Ă©galement tout mettre en Ćuvre pour que les autoritĂ©s fixent enfin, dans les plus brefs dĂ©lais et les meilleures conditions, une date dâouverture du procĂšs des responsables du massacre du 28 septembre.
Les Etats français et europĂ©ens doivent mettre le respect des droits humains au cĆur de leurs Ă©changes bilatĂ©raux et multilatĂ©raux avec Conakry, afin dâen finir avec la rĂ©pression actuelle et briser le cycle de lâimpunitĂ© subi par la population guinĂ©enne.
SIGNATAIRESÂ
- Action des chrĂ©tiens pour lâabolition de la torture (ACAT)
- Agir ensemble pour les droits humains
- Amnesty International France (AIF)
- Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
- Human Rights Watch (HRW)
- Ligue des droits de lâhomme (LDH)
- Secours catholique
- Tournons La Page