La France doit appeler Ă  la libĂ©ration des militant∙e∙s dĂ©tenu∙e∙s arbitrairement en GuinĂ©e

Tribune publiée le 4 juin 2021.

Guinée Défenseur.se.s Tribune Détention arbitraire

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Depuis 2019 et l’annonce d’une rĂ©forme de la Constitution qui a permis au prĂ©sident Alpha CondĂ© de se prĂ©senter Ă  un troisiĂšme mandat, nos organisations n’ont cessĂ© de dĂ©noncer la dĂ©gradation des droits humains en GuinĂ©e. Face Ă  cette situation, l’absence de rĂ©action forte de la communautĂ© internationale, notamment de la France et de l’Union europĂ©enne (UE), a Ă©tĂ© reçue par Conakry comme une carte blanche donnĂ©e Ă  la rĂ©pĂ©tition des violations. L’appel lancĂ© fin janvier par le ministre français des affaires Ă©trangĂšres, Jean-Yves Le Drian, à « faire toute la lumiĂšre » sur la situation des opposants en prison, est Ă©galement restĂ© lettre morte.

Avant et pendant la tenue du rĂ©fĂ©rendum constitutionnel et des Ă©lections lĂ©gislatives du 22 mars 2020, une rĂ©pression brutale s’est abattue sur le pays. Des manifestations ont Ă©tĂ© interdites de maniĂšre abusive. Les forces de sĂ©curitĂ© ont tirĂ© Ă  balles rĂ©elles sur les protestataires, faisant des dizaines de morts et de blessĂ©s. Des militants politiques, notamment du Front national pour la dĂ©fense de la Constitution (FNDC), et des membres de la sociĂ©tĂ© civile ont Ă©tĂ© arbitrairement arrĂȘtĂ©s.

Des discours de haine profĂ©rĂ©s par des candidats politiques et des affrontements entre partisans du gouvernement et de l’opposition ont Ă©galement rallumĂ© des tensions ethniques, engendrant des violences intercommunautaires dans la ville de NzĂ©rĂ©korĂ©. La grande majoritĂ© des plaintes dĂ©posĂ©es par les proches des personnes blessĂ©es ou tuĂ©es lors des manifestations n’ont pas abouti Ă  des poursuites judiciaires. Beaucoup de familles n’ont d’ailleurs pas osĂ© le faire, par crainte de reprĂ©sailles, manque de moyens ou absence de confiance dans les autoritĂ©s.

DES PRISONS SURPEUPLÉES

Le scrutin prĂ©sidentiel contestĂ© du 18 octobre 2020 s’est Ă©galement dĂ©roulĂ© dans un contexte de graves violations des droits humains. Nos organisations ont recensĂ© au moins seize personnes tuĂ©es par balle entre le 18 et le 24 octobre, sans compter les nombreux blessĂ©s. Les connexions Internet et les liaisons tĂ©lĂ©phoniques ont Ă©tĂ© perturbĂ©es ou coupĂ©es. Si certains manifestants se sont livrĂ©s Ă  des violences, comme allĂ©guĂ© par le gouvernement dans un rapport sur les Ă©vĂ©nements, cela ne peut pas justifier la rĂ©pression sanglante du mouvement.

Nos organisations ont recueilli des tĂ©moignages de victimes et de leurs familles et documentĂ© leurs rĂ©cits, afin d’interpeller les autoritĂ©s guinĂ©ennes, alerter les partenaires de la GuinĂ©e, sensibiliser les opinions publiques. Mais cela n’a pas mis fin aux abus. AprĂšs l’élection, les autoritĂ©s ont traquĂ© les opposants et des membres de la sociĂ©tĂ© civile. Plusieurs centaines de personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es. Aujourd’hui, des figures de l’opposition et des militants associatifs – y compris des membres de certaines de nos organisations – sont dĂ©tenus dans des conditions de dĂ©tention inhumaines. Dans les prisons surpeuplĂ©es, l’accĂšs aux soins est pratiquement impossible.

RĂ©cemment, au moins quatre sympathisants ou militants de l’opposition sont morts en dĂ©tention – ou juste aprĂšs avoir Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s – des suites de leurs conditions d’emprisonnement ou par manque de soins. Ainsi Roger Bamba, attachĂ© parlementaire et membre du conseil national des jeunes de l’Union des forces dĂ©mocratiques de GuinĂ©e (UFDG, opposition), a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© le 6 septembre 2020. EnvoyĂ© en prison quatre jours plus tard, il est mort le 16 dĂ©cembre 2020 « des suites de maladie », selon le ministĂšre de la justice. Sa famille n’a jamais Ă©tĂ© informĂ©e qu’il Ă©tait malade. Un autre dĂ©tenu, ĂągĂ© de 62 ans, est mort en dĂ©tention aprĂšs avoir prĂ©sumĂ©ment subi des actes de torture ou de mauvais traitement.

LE CYCLE DE L’IMPUNITÉ

Les graves violations des droits humains documentĂ©es par nos organisations depuis 2019 demeurent impunies. Si des annonces d’ouverture d’enquĂȘte ont Ă©tĂ© faites, elles n’ont pas Ă©tĂ© suivies de poursuites contre les auteurs des exactions. Ceci n’est pas nouveau en GuinĂ©e. Plus de onze ans aprĂšs le massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry, il n’y a toujours pas eu de procĂšs pour les meurtres de plus de 150 manifestants, les viols et autres crimes perpĂ©trĂ©s alors par les forces de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ©. Depuis la clĂŽture de l’instruction judiciaire, en 2017, les autoritĂ©s guinĂ©ennes ont Ă  plusieurs reprises promis que ce procĂšs aurait lieu.

Face Ă  ce bilan de plus en plus sombre, les dĂ©clarations d’intention ne suffisent plus. Il est essentiel que la France appelle Ă  la libĂ©ration immĂ©diate des opposants et des militants dĂ©tenus arbitrairement, demande des comptes sur les enquĂȘtes engagĂ©es pour faire la lumiĂšre sur les violences commises contre les manifestants et les opposants, et pĂšse de tout son poids pour qu’une justice indĂ©pendante et efficace soit rendue. Elle doit Ă©galement tout mettre en Ɠuvre pour que les autoritĂ©s fixent enfin, dans les plus brefs dĂ©lais et les meilleures conditions, une date d’ouverture du procĂšs des responsables du massacre du 28 septembre.

Les Etats français et europĂ©ens doivent mettre le respect des droits humains au cƓur de leurs Ă©changes bilatĂ©raux et multilatĂ©raux avec Conakry, afin d’en finir avec la rĂ©pression actuelle et briser le cycle de l’impunitĂ© subi par la population guinĂ©enne.

SIGNATAIRES 

  • Action des chrĂ©tiens pour l’abolition de la torture (ACAT)
  • Agir ensemble pour les droits humains
  • Amnesty International France (AIF)
  • FĂ©dĂ©ration internationale pour les droits humains (FIDH)
  • Human Rights Watch (HRW)
  • Ligue des droits de l’homme (LDH)
  • Secours catholique
  • Tournons La Page

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